Les peuples autochtones sont à la tête d’un mouvement pour la souveraineté alimentaire qui repose sur la restauration des systèmes agroalimentaires ancestraux. Bien que nous nous efforcions de restaurer ce que le colonialisme a confisqué de nos tables, il demeure que sans réparation ni restitution de nos territoires, aucune justice n’est possible. La souveraineté alimentaire passe par la restitution des terres.
La revitalisation des chansons, des danses, des cérémonies, des histoires et des méthodes qui se rattachent à la période des semences et à celle des récoltes est au cœur de nos efforts, et toute notre attention est portée vers les enjeux, inséparables l’un de l’autre, de l’accès à la nourriture et de la justice alimentaire.
Pour les peuples autochtones, la conservation des semences et des cultures est un lieu de gouvernance décoloniale (2). C’est une démarche d’entraide qui prend forme dans la préservation des économies ancestrales par l’échange, le partage et le don de semences, d’aliments, de remèdes et de savoirs. C’est une démarche abolitionniste qui vise la préservation des systèmes de subsistance basés sur la non-ingérence et sur le soin de la communauté, systèmes qui perdurent malgré la criminalisation violente de nos corps et de ceux de nos proches noir·e·s et racisé·e·s. C’est une démarche qui nous rappelle l’existence de modes de vie qui précèdent la police et les prisons, les pesticides et les pipelines, une démarche qui nous fait la promesse que ces mondes peuvent encore exister.
C’est un rejet de l’homogénéité et de l’hégémonie de la production alimentaire découlant de la suprématie blanche. C’est une pratique méditative centrée sur la remémoration, la réécriture et le réenracinement de nos existences et de notre réseau alimentaire, alors que la société cherche à nous écarter et à nous effacer. C’est une chaîne de guérison nous reliant aux générations qui nous succèderont comme à celles qui nous ont précédés, tandis que nous les imaginons en train d’éplucher un épi du même maïs corné ou de fendre une gousse du même haricot. C’est une pratique cérémoniale par laquelle on tisse l’avenir : planter et récolter, c’est prendre soin de quelque chose qu’on pourrait ne jamais voir prospérer et dont on pourrait ne jamais profiter soi-même, que ce soit dans les récoltes annuelles ou dans l’amélioration de la stabilité génétique des semences, visible seulement au bout de nombreuses années.
C’est un processus de prise de décisions entre nations qui est à la fois complexe et empreint d’amour : à quelles espèces, parmi notre réseau de parenté non humaine, doit-on consacrer nos énergies cette année ? Comment contribuer à la résilience des espèces face aux changements climatiques ? Quelles espèces sont surexploitées ? Nous sommes, avant tout, les humbles gardiens des aliments qui nous nourrissent, et certains d’entre nous n’ont encore jamais goûté aux aliments dont ils protègent avec tant de diligence les rares semences.
Lire l’article complet (PDF)
Lire l’article complet (en ligne)
Nicole Davies est organisatrice communautaire, conservatrice de semences et chercheuse. Elle est d’origines Métis de la Rivière-Rouge et Saulteaux, et certains de ses ancêtres étaient des colonisateurs blancs. Elle est gestionnaire de projets chez Sovereign Seeds, un organisme dirigé par des Autochtones qui œuvre dans ce qu’on appelle le Canada et qui vise à favoriser la vitalité des semences et des cultures des peuples autochtones.