Depuis la crise économique provoquée par la pandémie de COVID-19, de nombreux gouvernements ont présenté leurs plans de « relance économique » visant un retour à la croissance économique avec pour seul indicateur le produit intérieur brut (PIB). Toutefois, cette approche pose problème. D’une part, la croissance du PIB s’accompagne presque automatiquement d’une augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES), mais pas nécessairement de la création d’emplois. Face au besoin pressant de réduire les taux d’émissions de GES afin de lutter contre les changements climatiques, tout plan de relance « post-COVID » se basant principalement sur la croissance économique risque ainsi de sortir la société d’une crise économique seulement pour la diriger vers une crise climatique encore plus grave.
D’autre part, le portrait économique que peint le produit intérieur brut est inadéquat dans le contexte des crises sanitaire et climatique. Au Québec et au Canada, certaines industries fortement soutenues par des fonds publics, comme celles des énergies fossiles, contribuent à la croissance du PIB autant qu’à la détérioration du bilan environnemental. Par exemple, depuis 2018, le gouvernement fédéral a alloué au moins 23 milliards de dollars en subventions à des compagnies pétrolières pour la construction d’oléoducs1. De plus, entre 2012 et 2017, Exportation et Développement Canada (EDC) a octroyé plus de 62 milliards en subventions pour le développement de technologies dans l’industrie des énergies fossiles. Durant la même période, EDC n’a offert que 5 milliards en soutien au développement de technologies vertes. En revanche, d’autres activités, comme celles reliées à la protection de l’environnement, sont considérées comme des dépenses improductives.
Face à la crise climatique et aux nombreux défis sociétaux révélés par la pandémie, il semble malavisé de nous contenter, encore et toujours, de la croissance économique comme objectif central de nos politiques publiques, comme si le bien-être de la population et la santé des écosystèmes allaient naturellement s’améliorer par une croissance du PIB ou un retour au plein-emploi. Dans cette optique, les auteurs nous propose ici une réflexion sur les différentes failles des indicateurs de développement économique et social les plus utilisés, ainsi que sur les indicateurs de substitution qui permettraient de pallier ces lacunes.
La première section se concentre sur l’un des indicateurs les plus importants en économie, soit le produit intérieur brut. Malgré les limites du PIB comme indicateur de développement économique, il est toujours l’indicateur de base utilisé par la plupart des économistes et des gouvernements pour orienter les politiques économiques. L’IRIS a produit en 2011 une brochure sur les solutions de rechange au PIB comme indicateur de progrès économique. Il propose de revisiter ce thème à l’aune de la crise climatique, notamment avec un regard sur la croissance économique dans un système capitaliste comme moteur de cette crise. Il réitère d’abord les nombreuses failles du PIB comme indicateur de progrès, que ce soit sur le plan du bien-être des populations ou de la santé des écosystèmes4.
La deuxième section porte sur les indicateurs de substitution au PIB les plus populaires, qui tentent de mieux cerner les questions relatives au bien-être humain et/ou à la protection de l’environnement, tels que l’indice de progrès véritable, l’indice de développement humain ou encore l’indice canadien du mieux-être. Ces indicateurs sont intéressants, mais comportent à leur tour des failles importantes, particulièrement en ce qui concerne la mesure de la santé des écosystèmes.
Cette note de recherche se termine en exposant différents indicateurs « écocentriques », c’est-à-dire centrés sur les écosystèmes, qui pourraient être utiles dans le débat public entourant la lutte contre les changements climatiques. Ces indicateurs sont l’analyse des flux de matières, les analyses exergétique et émergétique, et l’indicateur de pression locale. Ces outils peuvent soutenir la détermination de cibles claires de préservation des écosystèmes et ainsi contribuer à la lutte contre la crise climatique.
Table des matières
Introduction
CHAPITRE 1 Le fétichisme de la croissance et la crise du climat
1.1 Sans limites : le réchauffement climatique provient du développement économique
1.2 Le découplage relatif ou absolu pour réduire les émissions ?
1.3 Le « paradoxe du produit intérieur brut »
CHAPITRE 2 Comment remplacer (adéquatement) le PIB ?
2.1 Les indicateurs de substitution au PIB
2.2 L’approche anthropocentrique et ses limites
2.3 Derrière les indicateurs de bien-être : la recherche d’un développement durable
CHAPITRE 3 Pistes de solution : les indicateurs écocentriques
3.1 L’analyse des flux de matières
3.2 Les analyses exergétique et émergétique
3.3 L’indicateur de pression locale
Notes