Lors de son arrivée au pouvoir l’automne dernier, le gouvernement Trudeau a annoncé qu’il stimulerait la productivité et la compétitivité stagnantes du Canada en investissant dans l’innovation. Or, afin que sa stratégie réussisse, le gouvernement appelle à une collaboration accrue entre les ministères de même qu’entre l’État, l’industrie et la recherche. Il favorise en outre l’innovation sociale au sein de ces ministères.
S’il n’y a pas de définition unique de l’innovation sociale, des organismes et des réseaux essentiels comme le Réseau québécois d’innovation sociale, le Center for Social Innovation de l’Université Stanford, aux États-Unis, et la Young Foundation, au Royaume-Uni, s’entendent sur le fait qu’elle se rapporte à un processus; dans la pratique, elle englobe de nouvelles façons de relever les défis sociaux, économiques et environnementaux complexes de notre époque dans le cadre d’organisations, d’établissements et d’entreprises de tous les secteurs. Le Québec est d’ailleurs bien placé pour tabler sur le leadership qu’il a déjà établi en menant des initiatives qui transforment la vie des individus et des communautés à travers la province, et cela est particulièrement vrai en ce qui concerne son économie sociale.
Il existe en effet plus de 7 000 entreprises d’économie sociale au Québec. Celles-ci emploient approximativement 150 000 personnes et représentent environ 8 % du produit intérieur brut de la province. Ces entreprises intègrent dans leur modèle d’affaires un engagement à l’égard d’une équité accrue, d’emplois stables et de qualité ainsi que du développement durable. Elles produisent des biens et des services dans des secteurs d’activité établis ou émergents, des garderies au design Web, de la fabrication aux technologies de l’information et de la communication, des soins à domicile au recyclage, et ainsi de suite.
Pour La Guilde des développeurs de jeux vidéo indépendants du Québec, une coopérative de «développeurs de technologies interactives», la coopération et la cocréation sous-tendent ce qu’elle appelle la quatrième révolution industrielle. La Guilde a ainsi adopté un modèle d’entreprise démocratique et coopératif. Il en va de même pour Projet Sol, un consortium sans but lucratif qui fournit des services de restauration au Planétarium et au Biodôme en s’approvisionnant en produits locaux et en formant la moitié de ses employés dans le cadre d’une réintégration au marché du travail. Peu de gens savent par ailleurs que la TOHU, cirque théâtral sans but lucratif montréalais de renommée internationale, offre une initiation au travail et des possibilités de création aux jeunes vulnérables du quartier Saint-Michel. Une récente étude sur ce programme a du reste révélé que la grande majorité de ces jeunes trouvaient un emploi permanent ou poursuivaient leurs études. Même les étudiants dynamisent l’économie sociale au moyen d’initiatives comme le PUSH Fund, dernièrement lancé par l’Union des étudiants et étudiantes de Concordia afin de financer de nouveaux logements coopératifs abordables pour les étudiants.
L’économie sociale est également caractérisée par des partenariats novateurs conçus pour mobiliser et partager le savoir. Le Champ des possibles est le nom symbolique donné à l’ancien district industriel que bordent les rails du Canadien Pacifique dans le Mile End. Il abrite à présent la coopérative Temps libre, qui revitalise la communauté à l’aide de projets audacieux, dont le premier espace de cotravail destiné au nombre croissant de parents travailleurs autonomes dans le quartier. Une initiative baptisée Espaces temps a aussi vu le jour; elle permet à des collaborateurs de Concordia de travailler sur des projets d’apprentissage expérientiel qui touchent aux sciences comme à l’art et favorisent l’engagement civique.
Ces diverses coopératives et entreprises sans but lucratif de l’économie sociale sont représentées par le Chantier de l’économie sociale. Cet organisme chapeaute plusieurs réseaux partout au Québec en proposant des outils conçus sur mesure pour le marché du travail, la prospection de clientèle, la recherche et le financement, et ce, afin d’assurer un «système d’innovation sociale» intégré et cohérent, conçu pour répondre de manières inédites aux besoins sociaux, économiques et environnementaux contemporains. Il s’est ainsi fait l’architecte d’un écosystème dynamique et organique qui repose sur une collaboration avec des organismes, des mouvements, des établissements d’enseignement supérieur et des paliers de gouvernement, afin d’améliorer la vie des individus et des communautés du Québec.
L’innovation sociale est au cœur de la réussite de l’économie sociale. Le nouveau mandat des ministères du gouvernement fédéral d’intégrer l’innovation sociale à leur portefeuille devrait favoriser l’appui prêté à l’économie sociale au Québec et au Canada. Il convient donc de prendre au sérieux l’engagement du fédéral de promouvoir l’innovation sociale et de collaborer à la conception de nouvelles stratégies visant le bien-être de tous les Canadiens.
Originalement publié le 1 juin, 2016 par le Huffington Post
Marguerite Mendell est économiste, professeure et directrice intérimaire de l’École des affaires publiques et communautaires (ÉAPC) de l’Université Concordia. Ses travaux de recherche et de l’enseignement en cours sont sur l’économie sociale, les stratégies d’investissement alternatives, le développement économique communautaire, la démocratie économique, et le travail de Karl Polanyi, dont l’influence ne cesse de croître aujourd’hui. Elle participe dans des conférences académiques et réunions internationales de l’OCDE et de l’OIT et les rassemblements de la société civile pour contribuer à un dialogue international en pleine croissance sur les initiatives économiques innovantes pour réduire la pauvreté et développer de nouvelles formes collectives de création de richesses. Elle participe également à des consultations au Canada (fédéral, provincial, et municipal) et à l’étranger (plus récemment à l’Union européenne) sur les questions liées à la finance sociale et communautaire et l’économie sociale solidaire.